Excluons la pensée radicale, prenons soin de nos frères humains…..par Marylin Canou

Parce que nous sommes la semaine commémorative des attentats de Charlie Hebdo et de l’épicerie Kacher, nous avons demandé à Marylin Canou, Psychologue, Maître de Conférences à l’université Paris Descartes, Officier Expert, Sapeur Pompier de Versailles, spécialisée en gestion de crise de nous aider à décrypter ce qu’il se passe actuellement dans la société française pour que nous en arrivions à de tels désastres et comment  lutter contre de tels risques.

Voici la Tribune qu’elle a bien voulu nous confier. Les rédacteurs de ce blog la remercient. Seuls, dans ce texte, les deux intertitres sont de la rédaction.

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7 et 11 Janvier 2014 – 13 Novembre 2015, nous devons reconnaître le chemin tracé vers une nouvelle épreuve, reconnaître que la confrontation entre deux idéologies est devenue violente, sanglante. Nous devons reconnaître que l’histoire est tragique. Il ne faut pas avoir peur des mots. Ce n’est pas une question d’ampleur, d’importance des chiffres, de récurrence des événements. C’est une question de qualification des actes, des actes qui donnent une direction à notre histoire.

7 et 11 Janvier 2014 – 13 Novembre 2015, des actes meurtriers ont eu lieu. Le sang a coulé, la violence s’est déployée. Tuer est devenu une action que certains justifient. Et ainsi, une histoire de violence a commencé, le chemin s’est tracé d’une guerre nouvelle. Des hommes ont décidé de s’organiser pour détruire d’autres hommes et les soumettre à leur volonté. Des ennemis se sont déclarés face à nous. Comment est-ce possible ? Peut-on se protéger, infléchir ou changer leur volonté ?

La société contemporaine transformée

Dans l’acceptation de notre finitude et l’engagement à la vie, nous nous portions vers la vie, nous soutenions sa préservation, nous construisions ses formes choisies. Nous essayions de bâtir une humanité de vie paisible et heureuse. Nous exercions librement notre droit à la recherche de la présence du bonheur. Et la réalité nous a mis face à un mouvement destructeur. Et nous devons maintenant comprendre pourquoi certains d’entre nous portent cette destruction, dans le refus de leur finitude et l’abandon de la vie. Comment les contenir et peut être les ramener avec nous vers la vie ?

Reconnaissons que la structure de la société contemporaine a été totalement transformée par le déploiement de réseaux superposés qui dépassent les territoires et égarent les populations.

 Avant ces réseaux, l’ordre sociétal reposait sur des relations entre différentes catégories de populations qui recouvraient différents modes de vie, avec leurs territoires, leurs activités, leurs organisations. Et ainsi, les savoirs et les pratiques étaient réfléchis par une pensée catégorielle partagée, une pensée sociale distinctive. Mais l’analyse cartésienne déshumanisait cet ordre à force de sectionnement en composés élémentaires et de rationalisation en recomposés multiples, cherchant un ordre réglé, épuré, hiérarchisé.

 Avec eux, les évolutions de la société ont engendré des systèmes qui se sont interconnectés : systèmes techniques, politiques, territoriaux, financiers, de communication, de production, de migrations, de groupes de populations, …  Avec eux, l’entremêlement de ces systèmes forme aujourd’hui un tout dont la complexité des interdépendances porte incertitude, fulgurance, déploiement à perte de vue. Une analyse systémique est devenue nécessaire pour développer de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques. Et ainsi, une pensée complexe se substitue à la pensée sociale. Mais celle – ci n’est pas encore accessible et partagée par tous.

 Après eux, la visibilité sociale s’est voilée et insécurisée pour nombre de personnes, perdues et égarées, cherchant une réponse à l’angoisse de ne plus pouvoir vivre dans un monde seulement injuste ou incompréhensible. Et ainsi, la pensée radicale est devenue pour eux une option possible parce qu’elle détourne leur angoisse, leur apporte une compréhension, guide leur action. Et ainsi, la pensée radicale est devenue un système malveillant enraciné au coeur de nos populations et sa violence commence à nous détruire. Que faire ?

 Constatons ensemble le paradoxe de notre société dans le traitement de la question du développement des extrémismes anti républicain. Le discours politique et intellectuel dénonce l’amalgame entre des terroristes et des personnes, identifiés selon leur origine, leur jeunesse passée ou leur parcours social. Pour autant, cette dénonciation faîte, elle s’accompagne de paroles, d’actes, et plus généralement de pratiques sociales et institutionnelles, regroupant ces populations et les excluant de la nation. En se contentant de voir dans la radicalisation de certaines personnes une causalité seulement interne, nous en limitons les motifs comme nous en dévoyons les traitements. Ne laissons pas ces racines porter une culture de la stigmatisation et de l’exclusion.

 Une remise en cause des fondamentaux de la République.

Constatons qu’il existe un nombre important de personnes que la situation historique, sociale, et familiale rend vulnérables. Répétons inlassablement qu’il existe un nombre important d’idéologues radicaux qui les subvertissent à des fins de destruction et de domination tyrannique. Insistons sur l’opposition entre victimes et abuseurs, entre abuseurs et victimes. L’emprise radicale repose sur la vulnérabilité de la population. A la racine de ce mal, nous pouvons reconnaître la pauvreté, pauvreté des forces, de la sécurité, des ressources, de l’information, de l’éducation. A la racine de ce mal, nous pouvons identifier les destructions multiples des étais de la dignité, un entourage bienveillant, un travail reconnu, un logement décent, un revenu suffisant, une réflexion nourrie. Reconnaissons la souffrance car ces deux tragédies liées, pauvreté et indignité, font souffrir. Et, pire encore, elles remettent en cause les fondamentaux de la république, la liberté, la fraternité, l’égalité. Et ainsi, de la souffrance naît la colère. Et ainsi, de la remise en cause naît le ressentiment. Et ainsi, s’engendre un désir de violence dont la pensée radicale s’empare.

Assumons de regarder clairement ce phénomène complexe avec compassion et lucidité. Reconnaissons ce désir de violence et son détournement dans le mouvement de propagation de toutes les radicalités, car aujourd’hui, nous ne pouvons plus douter du déploiement de l’idéologie anti républicaine, anti humaniste. Luttons contre toutes les pensées radicales. Il nous faut briser leurs systèmes en brisant leurs réseaux. Il nous faut suivre leurs mouvements, anticiper leur construction et entraver leur déploiement. Mais prenons soin des nôtres. Il nous faut penser et parler justement. Il nous faut substituer une pensée complexe à la pensée sociale. Il nous faut donner les clefs de l’analyse systémique à tous dans l’ordinaire des apprentissages et des expériences de la vie. Accompagnons le développement des nouveaux réseaux de notre vie contemporaine : structurons les réseaux des migrants, portons les réseaux citoyens, découvrons les nouveaux chemins d’un ordre juste et inventons d’autres voies encore.

Excluons la pensée radicale et prenons soin des nôtres, nos frères humains.